L’Economic Development Board (EDB) souhaite positionner Maurice comme une destination de choix pour les produits très haut de gamme. En ligne de mire les Européens principalement, alors que parallèlement une clientèle locale fortunée est en train d’émerger.
La consommation des grandes marques de luxe, dans le monde, est principalement dominée par les pays européens, représentant environ 80 % du marché mondial. L’industrie du luxe connaît une croissance impressionnante en Europe. La base de consommateurs devrait passer de 400 millions actuellement à 500 millions en 2030. C’est pour cette raison que l’Economic Development Board (EDB), l’agence de promotion des investissements à Maurice, a décidé de se concentrer sur ce segment du haut de gamme afin de conquérir une part d’un marché en évolution. Pour l’EDB, il y a un argument qui reste incontournable : le secteur du luxe offre une plus grande marge de profit. Et il s’appuie sur une étude financée par l’Union européenne qui identifie les secteurs de l’économie mauricienne ayant un fort potentiel à développer des produits de luxe. Cette étude a analysé les performances des entreprises locales ayant la capacité requise pour migrer vers le haut de gamme. Il s’agira, pour l’État mauricien, de les accompagner et de les guider afin qu’elles puissent se développer pour servir le marché du haut de gamme et du luxe, dont les exigences sont grandes. Les secteurs identifiés sont ceux de la bijouterie, de la maroquinerie, de la production de rhum, de la fabrication de costumes de luxe et de produits en cashmere.
L’industrie mauricienne produit déjà pour une variété de marques et enseignes internationales, telles que Levis, Calvin Klein, Puma, Marks & Spencer, Guess, Diesel, Tommy Hilfiger, Woolworths, Orchestra, Cerruti… De plus, les rhums mauriciens comme Chamarel, New Grove Bourbon, Oaks & Ames, Lazy Dodo, Saint-Aubin et Bougainville sont très appréciés et ont reçu de nombreuses distinctions internationales, notamment lors du dernier Concours mondial de Bruxelles (2023), dans 13 catégories différentes.
Maurice abrite aussi des groupes hôteliers internationaux et locaux qui font partie du très select consortium The Leading Hotels of the World, rassemblant 375 hôtels de luxe dans 75 pays. Ces établissements de très grand standing, tels que le Prince Maurice, le Royal Palm, ou encore le Shangri-La Le Touessrock, le Maradiva et le Saint Géran, proposent des services et des prestations valant largement ceux proposés par certains palaces à Londres, Paris ou New York.
L’apport des touristes
Le tourisme est le moteur de la vente de produits de luxe à Maurice. « Le tourisme permet d’avoir une plus grande capacité de dépense ainsi que des achats réguliers », intervient Sebastian Denton, CEO d’Adamas, société spécialisée dans la bijouterie et la commercialisation de marques de luxe. En proportion, 85 % des ventes se font avec les touristes et 15 % avec la clientèle locale (Mauriciens et expatriés). Son entreprise, installée à Floréal depuis les années 1980, a d’abord fait de la vente hors-taxe pour les touristes car, à l’époque, les Mauriciens n’avaient pas accès à ce type de prestation. Avec l’évolution de la réglementation en 2007, la clientèle locale a été autorisée à acheter des produits hors-taxe et les revendeurs de produits de luxe ont pu bénéficier de ce changement. « Aujourd’hui nous avons plusieurs points de vente à travers l’île », précise le CEO d’Adamas.
L’immobilier en pointe
Avec plus de 54 % des investissements directs étrangers et plus de 100 milliards de roupies (environ 2,2 milliards d’euros) investis depuis 2005, l’immobilier est lui aussi un formidable réservoir de clientèle pour le segment du luxe. La contribution à l’économie d’un titulaire d’un permis de résidence équivaut à environ 15,5 touristes standards ayant des dépenses moyennes de 46 500 roupies (environ 1 000 euros). Cette clientèle est majoritairement française et sud-africaine, mais aussi britannique, suisse et allemande.
Outre le pouvoir d’achat de ces ultra-riches, celui de certains Mauriciens et résidents a fortement augmenté. Selon l’African Wealth Report 2022, on compte 4 800 millionnaires (en dollars) à Maurice. Ils étaient déjà 3 800 en 2016. Cette tendance devrait donc s’accélérer dans les prochaines années, avec un taux de croissance de la richesse estimée à plus de 60 %, d’ici à 2031… « La clientèle locale est plus riche qu’avant et depuis la crise de la covid elle s’est intéressée de plus près aux produits de luxe fabriqués localement », confirme Sebastian Denton.
Du whisky à 8 000 euros la bouteille
Dans le secteur de l’automobile, si le nombre de véhicules neufs vendus a augmenté de façon exponentielle ces dernières années, le segment premium se taille désormais plus de 10 % des parts. Et la marque qui représente le mieux cette croissance est Porsche. L’emblématique constructeur allemand, l’un des plus appréciés sur le segment du luxe automobile à Maurice, enregistre une progression de 30 % de ses ventes en 2023. « La tendance sur le marché mauricien se porte vers l’électro-mobilité et le développement durable. La stratégie Porsche est d’électrifier 80 % de ses modèles d’ici 2030, ce qui nous permettra de mieux répondre aux attentes du marché », précise Brian Dugole, adjoint au directeur du marketing chez Porsche.
Au plan local, il y a donc une clientèle de plus en plus friande de produits et prestations de luxe et cela se répercute aussi dans le domaine de la gastronomie et des événements. La maison Oxenham représente et distribue des vins et spiritueux de toutes les catégories et, dans le haut de gamme, elle peut proposer des marques de whisky qui se vendent à 375 000 roupies (environ 8 000 euros) la bouteille d’un litre. Oxenham s’est spécialisé dans l’organisation de soirées à thèmes très sélectes, baptisées Perfect Experience.
Ces soirées de dégustation et de networking, qui ont lieu dans des hôtels de luxe ou dans des restaurants haut de gamme, visent une clientèle fortunée, formée de Mauriciens et d’expatriés. On y consomme de grandes marques de vins, spiritueux et les mets les plus fins. Et la clientèle en redemande puisque cette « expérience parfaite » se renouvelle quatre ou cinq fois par an.
Oxenham organise aussi de grands mariages qui s’étalent sur une semaine entière et qui donnent lieu à un festival gastronomique. « Nous créons des cocktails spécialement pour l’occasion et qui restent une exclusivité », indique Sharon Aubeeluck, coordinatrice marketing chez Oxenham. Elle précise, sans mentionner le tarif : « chaque client a son propre budget… »
Un marché encore embryonnaire
Pour l’EDB, les graines pour le développement du segment du luxe sont donc en train d’être semées. Il faut à présent créer un écosystème approprié pour lui permettre d’évoluer et de prendre de l’ampleur. Car, pour l’instant, c’est le tourisme qui entretient le marché du luxe. « C’est grâce à l’hôtellerie que Maurice peut se targuer d’être un hub du luxe », affirme Sebastian Denton. Maurice ne peut pas encore se comparer à des destinations comme St Barthélémy, proche des États-Unis, Monaco, au cœur de l’Europe, ou Hong-Kong, aux portes de la Chine.
La proximité des grands marchés ayant un fort pouvoir d’achat est, en effet, l’un des facteurs de base qui favorise le développement d’une destination de luxe car elle apporte la masse critique nécessaire à sa croissance, selon Sebastian Denton. De plus, pour qu’une grande marque de luxe s’installe dans une destination, il y a des conditions à respecter, avec tout d’abord la certitude d’avoir une boutique mono marque pour la commercialisation de ses produits, mais aussi le bon partenaire et une boutique située dans un « bon voisinage ». Il faut aussi qu’il y ait au sein de la population un nombre minimum de riches, donc une masse critique. Et des milliardaires, en dollars… Pour Maurice, ce dernier objectif n’est visiblement pas encore atteint. « On pourrait peut-être l’atteindre avec le nombre grandissant d’expatriés », risque Sebastian Denton…
En attendant, une boutique mono marque Mont Blanc, représentée par Adamas, vient d’ouvrir ses portes au Caudan Waterfront, dans un « bon voisinage » qui ne fait pas de « tort » à son image. Il aura fallu du temps pour que cette marque de grande renommée se décide. Cette initiative va-t-elle déclencher un effet boule de neige chez les autres membres du club très sélect du grand luxe ? « On va y arriver, mais pas aussi vite », tempère le CEO d’Adamas.
On y est presque serait-on tenté de dire… Maurice a déjà coché plusieurs cases qui font d’elle une belle destination où la qualité de vie est élevée, avec un hébergement de haut standing, un savoir-faire et des services haut de gamme, où les dernières technologies sont présentes. Immobilier, hôtellerie, vins et spiritueux, automobile… Les prestations de luxe et les produits de qualité qui les accompagnent sont là, bien implantés, enregistrant des marges de progression importantes dans les ventes locales, et jouissant d’une notoriété qui va grandissante. Il n’en demeure pas moins qu’il y a encore un bout de chemin à parcourir pour que Maurice devienne le havre du gotha mondial des marques de luxe…
Le « Black Luxury » ou l’émergence de nouveaux consommateurs : Thomas Mondo, fondateur de l’agence en stratégie Bel-Ami, un des meilleurs spécialistes francophones du marketing du luxe, soulignait dans un entretien accordé à L’Éco austral en avril 2022 l’émergence de nouveaux consommateurs, ce qu’il appelait le « Black Luxury ». En effet, le luxe n’est que le reflet du basculement mondial du pouvoir d’achat, de l’émergence d’une nouvelle génération de consommateurs non occidentaux souvent à forte capacité financière. Nous avons tous en tête cette image de clients chinois faisant la queue devant une célèbre marque de maroquinerie française sur les Champs-Élysées. Ces « nouveaux » clients sont incontournables car ils pèsent beaucoup plus budgétairement que le Parisien ou le Milanais, adepte des soldes et des ventes privées. Et avec la digitalisation, ces clients n’ont plus besoin de venir physiquement. Surtout, ils ont imposé leurs demandes spécifiques. Les marques ont intégré ces changements et ont parfois repensé leur propre ADN. L’exemple le plus spectaculaire est la maison de joaillerie américaine Tiffany & Co, symbole presque ultime du style BCBG des WASP (White Anglo-Saxon Protestants) de la côte est des États-Unis, qui a choisi comme égérie la chanteuse américaine métisse Beyoncé.
Le gotha du luxe : Les marques de grande renommée se singularisent grâce à la qualité de leurs produits, l’originalité de leur design, la force de leur communication et leurs prix à couper le souffle. Parmi les marques de luxe les plus populaires en 2023 on peut citer Gucci, Louis Vuitton, Chanel, Rolex, Dior, Balenciaga, Armani, Yves Saint Laurent, Tiffany, Burberry, Hermès, Cartier, Prada, Fendi et Lancôme.
Chaîne d’approvisionnement régionale : Pour l’Economic Development Board (EDB), l’une des initiatives qui pourrait profiter à l’émergence d’une industrie du luxe serait le développement d’une chaîne d’approvisionnement régionale avec la participation des îles de l’océan Indien. Dans ce schéma, on retrouve Madagascar à la source, avec sa production de pierres précieuses, par exemple, puis Maurice avec son savoir-faire pour la transformation en produits haut de gamme tels que les bijoux et enfin La Réunion pour la commercialisation et la distribution des produits sur le marché européen…
Source – l’Eco Austral