Réduire l’usage intensif des pesticides dans la production des fruits et légumes ? Un impératif pour la santé de la population et pour l’avenir de l’île.
Maurice a tout d’un petit paradis. À l’exception de ses fruits et légumes. L’île est sous l’influence de la canne à sucre depuis des siècles. La canne, bichonnée et arrosée d’intrants chimiques, essentiellement des herbicides, couvre la majeure partie des terres cultivées. Au fil du temps, la terre s’est dégradée, appauvrie. Alors, le recours aux phytosanitaires va bon train, d’autant que sous un climat tropical, les ravageurs et les maladies prolifèrent.
Des pesticides dans l’assiette
Début 2016, le journal mauricien L’Express publiait une enquête au long cours « Pesticides, ça nous empoisonne ». Pour les consommateurs, l’inquiétude est de mise. Sur un échantillon de 50 produits analysés, jusqu’à 20 % des fruits et légumes consommés affichaient des taux de pesticides dépassant les limites maximales de résidus (LMR). L’enquête pointait aussi du doigt certains produits importés de pays non soumis aux normes européennes.
Une étude menée par la Chambre d’agriculture mauricienne auprès de 300 maraîchers ne laissait pas de place au doute : 60 substances chimiques actives étaient utilisées pour produire 11 sortes de légumes. Certains des pesticides employés étaient même interdits à l’importation !
En 2017 dans les Cahiers agricultures , un article co-écrit par la Chambre d’agriculture mauricienne et le Cirad se penche sur les pratiques des producteurs maraîchers mauriciens. « La grande majorité des producteurs protègent leurs cultures par des traitements phytosanitaires préventifs […] Entre 11 et 53 traitements par an sont ainsi effectués », révélait l’article. Constatant des risques importants pour l’environnement du fait du non-respect des bonnes pratiques, les auteurs préconisent alors un meilleur encadrement de l’usage des pesticides et la recherche de solutions alternatives.
Des initiatives
La prise de conscience dans la société civile a poussé quelques agriculteurs à se mettre au « bio ». De son côté, le gouvernement s’est engagé à promouvoir l’agriculture bio et à subventionner la culture sous serre qui rend le contrôle des maladies plus aisé. La Chambre d’agriculture, qui représente le secteur privé, a lancé l’initiative « Smart agriculture » (agriculture raisonnée). Présentant le programme devant la presse, Jacqueline Sauzier, secrétaire générale de la Chambre d’agriculture, précisait alors : « L’heure est venue de réfléchir à des moyens plus sains et écologiques de cultiver des légumes. » Après un état des lieux et des recommandations, le projet se penche depuis 2017 sur l’accompagnement vers « une transition agroécologique pour créer des systèmes moins dépendants en intrants, plus résilients face au changement climatique et viables économiquement », explique-t-elle.
Le pays reste dans l’attente d’une loi qui encadre l’usage des pesticides et fixe le taux limite résiduel admis dans les fruits et légumes. Après deux ans de discussion, un texte vient d’être présenté fin mai à l’Assemblée. Si les petits planteurs restent opposés à la Pesticide Use Bill, Jacqueline Sauzier insiste sur « la nécessité de former les agriculteurs aux dangers de ces produits, mais aussi de structurer une profession qui ne dispose ni de cadre ni de réglementation ».
Des opportunités
En choisissant d’implanter à Maurice son premier projet de ferme maraîchère, JTAgro, une start-up française, a vu juste. Son credo, produire des légumes sains et de qualité dans la tradition de l’agriculture raisonnée, lui a ouvert les portes. Tout s’est fait rapidement. Les premiers contacts, pris en septembre 2015, se sont concrétisés par la création d’une société mauricienne Pure Farming en mars 2016, avec des partenaires locaux, et en mai le site de production était lancé.
Tomates, tomates cerises, salades, poivrons mais aussi haricots verts, melons ou autres légumes, selon la saison, poussent avec le moins de pesticides possibles et évidemment sans traitements préventifs. « Les rendements sont bons, mais cela demande beaucoup de travail. Il nous a fallu un an pour retrouver des vers de terre dans les sols, signe de bonne santé de la terre », explique Yoann Michenet, directeur technique. L’exploitation, qui a décroché le label « bio farming », s’agrandit. Commencée sur trois hectares, elle est vite passée à 5 hectares en 2017 et devrait atteindre 15 hectares en 2020. À côté de la pépinière et d’une serre de production, 8 autres serres devraient être installées cette année et, pour 2019, Yoann Michenet rêve de 21 serres.
L’avenir
L’exploitation mauricienne a été conçue comme une ferme-pilote. D’autres fermes maraîchères conçues par JTAgro devraient pousser sur le continent. Après l’ouverture des Primeurs de Djéno à Pointe-Noire au Congo, des études de faisabilité sont menées au Bénin et au Nigeria. La prise de conscience des dégâts des pesticides est mondiale. Produire des légumes sains et de qualité, c’est bon pour le consommateur et rentable pour le producteur.
Source – Le Point Afrique